Ministère de la Santé Publique - Soyez gentil avec les fumeurs, ils vivront moins longtemps que vous
Changer le comportement des citoyens ou des consommateurs : sans doute le défi le plus important des publicitaires. Contre le tabac, voici un angle d'attaque inédit et gonflé. Made in Belgium.
Sans forcément le savoir, tout publicitaire qui s’attelle à une campagne de prévention cherche à franchir l’obstacle de la dissonance cognitive.
Ce terme de psychosociologie désigne le comportement d’un individu qui, écartelé entre convictions et comportements, tend à fuir un message déplaisant pour réduire son inconfort psychologique.
Un fumeur, par exemple, qui face à un discours axé sur la peur aura tendance à élaborer une stratégie de défense le conduisant à dénigrer, renier, rejeter les campagnes qui visent à diminuer voire arrêter sa consommation de tabac.
Dans la remarquable campagne française de 2002¹, la dissonance cognitive était résolue par l’effet teaser du film. Celui-ci alertait qu’un produit de grande consommation contenait du mercure, du plomb et autres poisons... sans mentionner le coupable.
Jusqu’à la révélation que le produit en question était la cigarette. Les fumeurs se voyaient d’abord en consommateurs en colère contre un tel produit, puis incrédules lors de la révélation, enfin consommateurs « misérables et ignorants, assujettis à l’industrie du tabac ».
Outre l’énorme effet de surprise (1 million de personnes ont appelé le numéro vert mis en place à l’occasion de la campagne), les résultats sur la durée semblent avoir donné raison à cette approche.
La campagne anti-tabac qui vient d’être lancée en Belgique à destination des adolescents poursuit le même objectif avec un parti pris différent.
Film : Une ado vient de prendre un soda dans un distributeur. Une autre, clope au bec, s’approche pendant que la première range son portefeuille dans son sac.
Le distributeur se coince. Elle est privée de soda. La première ado regarde la fumeuse, esquisse un sourire puis s’approche et lui offre sa canette. Regard interloqué de la fumeuse.
Presse : allongée sur son lit, une cigarette à la main, une ado feuillette un magazine. A ses pieds, sa copine lui applique minutieusement du vernis à ongles.
Dans les deux cas, le claim : « Soyez gentils avec les fumeurs. Ils ne vivront pas aussi longtemps que vous.
Ingrédients de départ : 2/3 des fumeurs entre 12 et 18 ans ont déjà essayé d’arrêter – seuls - de fumer mais sans y arriver.
80% des non-fumeurs sont prêts à aider un ami à ne pas fumer.
De quoi mettre déjà sur la voie.
Ajoutez cet autre élément donné par le Ministère de la santé publique: on vit en moyenne 14 ans en moyenne de moins quand on est fumeur à raison d’un paquet par jour.
Agitez le tout, ajoutez quelques nuits blanches passées par les créatifs (on taira si elles furent enfumées ou pas) et l’idée prend corps : il faut créer une relation entre fumeurs et non fumeurs, mais surprenante.
Or, chacun de nous l’a vécu : quand on apprend que quelqu’un a une maladie grave, les comportements changent d’un coup. Silence. Gravité. Chacun se retrouve devant la perspective de la mort.
Réflexe humain s’il en est : la compassion survient. Précisément. On ne regarde pas assez celui qui clope comme quelqu’un atteint d’une maladie grave.
Inutile donc de convaincre, pire de culpabiliser le fumeur puisque celui-ci est malade.
Pourquoi pas alors un vrai geste de compassion ?
Pourquoi ne pas faire cadeau de moments agréables à eux, les fumeurs, qui en vivront statistiquement bien moins que nous, les non-fumeurs.
C’est cette compassion inattendue qui devrait amener le fumeur à réduire face à la campagne son inconfort psychologique. L’humour grinçant qui devrait le faire se retourner contre sa consommation plutôt que contre l’émetteur de la campagne.
A-t-il vraiment envie de toute cette gentillesse ? Ne l’échangerait-il pas volontiers contre quelques années de vie de plus ?
Va-t-il apprécier qu’on se foute finalement de sa gueule lorsqu’on lui balance : t’es tellement en train de raccourcir ta vie que je vais te rendre le peu qui te reste plus agréable ?
Cette « sympathie » inattendue devrait en tout cas l’interpeller. Mieux, le faire rire de lui-même.
Ne serait-ce que par contraste avec la « guerre menée contre le tabac » par l’Etat et l’ambiance coercitive vécue en permanence par les fumeurs en Belgique comme en France (avertissements sur les paquets, interdiction de fumer dans les lieux publics...) ?
La campagne ne s’est pas contentée d’installer cette compassion douce amère à l’égard des ados fumeurs. On passe aux actes. Comment être gentil avec eux mais cette fois pour de bon. Car tout cela se passe dans la vraie vie et les 14 ans d’espérance de vie en moins ce n’est pas du cinéma.
Sur un site ad hoc, on peut devenir "buddy", - pote – d’un fumeur avec un tas de conseils pratiques pour prendre en charge son sevrage.
Cette dernière pièce du puzzle achève de réduire la tension psychologique de nos cibles en leur proposant des solutions concrètes, une porte de sortie pour tous ceux qui n’en pourront plus de se voir, dans la campagne, sujets de tant d’attentions.
Grâce à une agence inspirée² voici en tout cas une arme nouvelle dans la panoplie utilisée dans la guerre contre le tabac : la compassion ironique.
Trop bien ou trop soft ?
- BETC Euro RSCG
- Liebens, Chewy et Fauconnier Bruxelles
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