Absente - N'est absente que toi Absente - N'est absente que toi
Publié le 10 octobre 2006 par Jean-Luc Gronner
Lecture 2 min.

Absente - N'est absente que toi

étiquette Absente

L'absynthe, boisson mythique a été interdite en 1915. Absente en est l'héritière autorisée. Son histoire comme son slogan démontrent que la nostalgie peut faire partie du branding.

Acte I. Nous sommes en 1830, c’est le début de l’aventure coloniale. Pour les troufions qui crapahutent dans la brousse, l’absinthe est aussi précieuse que la bière aujourd’hui. En plus utile. Elle sert autant à assainir l’eau qu’à soigner le mal du pays.

À leur retour, ils continuent à apprécier le breuvage qu’ils consomment en laissant tomber de l’eau goutte à goutte sur un sucre posé sur une cuillère percée de trous. Le sucre étant dissout, l’eau peut s’accélérer en fin filet jusqu’au mélange complet entre l’eau et les essences de plantes.
                                                     
La bourgeoisie qui en pince pour ses soldats finit aussi par en pincer pour cette liqueur. Quant aux artistes toujours à la recherche d’émotions nouvelles, ils savent trouver les mots qu’il faut pour parler de leur petite « Fée verte »¹ qui va finir par monter à la tête des Français jusqu’à devenir « boisson nationale ».

Acte II. « L'absinthe rend fou et criminel, provoque l'épilepsie et la tuberculose, elle tue chaque année des milliers de français. Elle fait de l'homme une bête féroce, de la femme une martyre, de l'enfant un dégénéré, elle désorganise et ruine la famille et ainsi l'avenir du pays ».

1906. La ligue nationale française antialcoolique n’y va pas par le dos de la cuillère. Elle recueille 400 000 signatures dans une pétition qui aboutira 9 ans plus tard - alors que la 1ère guerre mondiale fait rage - à l’interdiction de la dite « absinthe ».

La fée verte est devenue le péril vert et synonyme d’alcoolisme. Le pastis tout aussi alcoolisé mais moins suspect de tendance hallucinogène lui chipera allègrement la place.

Acte III. 1999. L’aube du 21ème siècle. Depuis quelques années, l’absinthe est redevenue légale mais sous conditions. Entre-temps, il aura fallu les efforts des distillateurs de Pontarlier d’où est vraiment née l’absinthe et curieusement des ingénieurs du CEA pour calmer les effets dévastateurs de la thuyone, principal élément incriminé dans la toxicité de l'absinthe car épileptisante.

Dans les distilleries de Provence on invente donc l’Absente - absinthe version politically correct - composée d’alcool, de sucre, d’essence et d’infusions de plantes dont la grande Absinthe dont il ne reste qu’une dose minime et règlementaire de thuyone.

Le nom Absente, lui, est une trouvaille géniale d’un maître du marketing. C’est en effet Michel Roux, français expatrié aux USA qui après la vodka Absolut a l’idée de ce nom français ; tout simplement parce que les anglo-saxons disent « absente » quand ils prononcent « absinthe ». Pour Roux, « l’absinthe comme le pastis font partie de la même catégorie d’alcools à valeur ajoutée. Ce qu’on ajoute ici, c’est de la nostalgie ! »

Cette nostalgie inspire Jean Perret l’un des 4 fondateurs de Carré Noir à qui Alain Robert, le patron non moins inspiré des Distilleries et domaines de Provence demande de créer l’étiquette de son Absente. Lorsqu’on lui pose la question, Alain Robert ne se souvient pas avoir demandé un slogan au graphiste. Il se contente de dire que N’est absente que toi fait référence au fort contenu culturel associé à l’absinthe. Et ajoute que ces quelques mots « ne nuisent pas » à la marque et confère d’ailleurs à l’étiquette son équilibre esthétique.

Jean Perret sourit d’une telle sous-évaluation de sa trouvaille. Pour celui qui a inventé, entre autres, le logo de Renault, c’est une chance de construire le packaging d’une bouteille sur un tel socle imaginaire, voire sulfureux qui lui donne l’idée de cette étiquette « alambiquée » genre vieux poison. Mais qui lui donne aussi envie en quelques mots d’inscrire au sein même de l’étiquette, une devise en bloc-marque appelée à durer le temps que vivra la marque.

N’est absente que toi évoque à la fois les 80 années pendant lesquelles les amateurs de fée verte ont dû patienter mais aussi, de façon plus touchante, la solitude un peu désespérée de celui que ronge un amour perdu ; ou qui en mal d’inspiration ne peut pas se passer de sa muse. Une version alcoolisée du célèbre C’est plus fort que toi d’une autre marque d’addiction : Sega.

Acte IV. 2006. Pour cause de loi Evin, parce que l’absinthe est un marché de niche – on vend environ 300 000 bouteilles d’Absente dans le monde chaque année - il est peu probable que ce slogan fleurisse un jour sur des affiches dans le métro.

Pourtant même sur les sites de e-commerce américains, il est facile de trouver de l’Absente. Et lire à son sujet: «Today you can enjoy the full aromatic flavor, aroma and dazzling emerald green color of Absinthe when drinking Absente ». Cela ne coûtera à l’amateur de nouvelles sensations ou aux vieux nostalgiques de la fée verte que 49,15 dollars.

On n’est pas sûr que l'américain amateur d'absinthe comprenne toute la richesse de la petite phrase inscrite en français sur l’étiquette qui à sa manière, discrète et émouvante, perpétue le mystère d’une boisson légendaire.

  • * Barbara les évoquera dans une de ses chansons: L'absinthe Ils buvaient de l'absinthe/Comme on boirait de l'eau/L'un s' appelait Verlaine/L'autre, c'était Rimbaud/Pour faire des poèmes/On ne boit pas de l'eau

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