Mediapart - L'info part de là
Publié le 9 juin 2008 par Jean-Luc Gronner
Lecture 3 min.

Mediapart - L'info part de là

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Prétentieuse ou visionnaire ? Le temps sera seul juge de cette signature qui accompagne le lancement de ce nouveau site d'information. Et que l'on doit à un créatif aussi célèbre dans la publicité qu'inattendu.

L’affaire remonte au dimanche 25 Mai 2008.

Les lecteurs du Journal du Dimanche reçoivent ce jour-là un pavé en pleine page. Façon de célébrer l’anniversaire de Mai 68, Edwy Plenel¹ lance officiellement son site d’information : Mediapart. 

Sur le pavé, formé de mots d’où s’échappent des lettres, un texte en forme de manifeste nous alerte. Faute d’un journalisme vraiment indépendant, parce que les médias sont prisonniers de groupes financiers ou d’annonceurs d’autant plus puissants qu’ils sont de moins en moins nombreux, la patrie - pardon la démocratie - est en danger.

En bas de page, on découvre la marque Mediapart.fr, nouvelle venue dans l’univers des médias et sous le logo comme il convient, la signature : L’info part de là, qui vient conclure une annonce publicitaire épurée et parfaitement exécutée (2). Après la douche écossaise : la couverture chauffante. Nous voilà rassurés : la véritable information, indépendante, est accessible sur un site Internet. Allons voir.

Le produit

Première surprise : ce n’est pas gratuit. Un parti-pris et un pari. A rebrousse Toile du business model du Net, le site demande à ses lecteurs 9 euros par mois, 30 centimes par jour, mais quand même 3 euros de plus que le plus lu des sites médias : lemonde.fr.

La pub, d’ailleurs très limitée, ne sert qu’à lancer le site; elle ne servira pas à payer les journalistes qui forment l’ossature de la rédaction. Deuxième nouveauté : le journal n’est pas fait seulement par des journalistes mais par vous et moi pourvu que l’on s’abonne et que l’on ait des choses à dire. Les outils de mise en ligne sont fournis. La colonne de droite qui s’élargit quand on clique est concoctée par les webcitoyens. Chaque abonné peut poster ses contributions, la rédaction restant « modératrice » de leur publication en fonction de leur « pertinence et de leur originalité ».

L’info ne saurait en effet partir que des journalistes. L’avènement du web a changé irrémédiablement la donne. Ce n’est plus seulement le journaliste qui a le pouvoir de mettre en lumière les faits; les citoyens ont avec le web pris aussi leur part dans la construction de l’information. Mediapart prend acte de ce tournant historique et l’inscrit dans sa conception même. Sur le contenu, il est trot tôt pour juger et donc assez pour s’abonner.

Sur le fondateur, Edwy Plenel, on dira que sa personnalité impacte tout le projet. Grand professionnel, il est reconnu pour être l’un des meilleurs journalistes d’investigation du pays. Grand animateur télévisuel, c’est un intellectuel attachant du paysage médiatique. Mais pour beaucoup d’autres, c’est aussi un grand manipulateur dont le passé trotskyste pourtant lointain n’en finit pas de rendre perplexe sur ses intentions.

La signature

L’info part de là n’en apparaît que plus prétentieuse ou plus ambigüe. Traduite en russe elle aurait fait au siècle dernier une belle signature pour l’agence Tass.

Quoi, un journaliste - fût-il le meilleur - et son équipe, même doublée de bloggers abonnés, pourraient revendiquer être la seule source de la seule information vraie ? C’est en tous cas ce qu’on entend en première lecture. La modestie, même lorsqu’elle est fausse, est aujourd'hui l’une des postures de marque les plus appréciées; elle est ici oubliée à l’heure même où chacun peut se concocter soi-même son portail plurimédias avec par exemple Netvibes, mixant ses medias français ou étrangers et ses blogs préférés.

Si le publicitaire n’a pas fait le choix de la modestie, ni de l’humour ou de la connivence comme il en a le goût, c’est parce qu’il a une mission plus urgente : attirer l’attention et déclencher une action. En l’occurrence faire cliquer et faire s’abonner.

Sur ce point, la signature atteint son but. Si l’info part de là, on serait bien sot de ne pas y aller faire un tour.

Comprendre le monde, la signature de l’AFP, source d’information pas moins légitime, apparaît d’un coup bien pâle en comparaison. Et si L’info part de là était une signature à retardement ? J’énerve d’abord, je prouve ensuite. Entre temps j’aurais amené pas mal de gens sur le site pour juger le produit.

Le produit précisément ne manque pas d’ambition : « redonner à l’information son pouvoir… celui de changer les choses ». Comment ? Plenel le rappelait dès 2006 : « il importe de prendre au sérieux les faits, leur usinage et leur production, de les façonner et de les énoncer avec respect et honnêteté car, à eux seuls, il leur arrive de faire sens ». Et de citer Nietzche qui sonne comme une mise en garde qui s’adresserait à lui-même : « Les convictions sont des ennemis de la vérité plus dangereux que les mensonges ».³ info est un mot finalement bien étroit pour y encapsuler l’ambition de Mediapart et de son fondateur. Un I majuscule aurait rajouté de la prétention, Information en entier aurait fait perdre en concision.

L’info part de là : outre que l’expression résonne avec le radical de la marque (une coïncidence nous confiera son auteur), elle nous indique donc autre chose que l’affirmation prématurée que Mediapart serait La référence ; elle invite au retour aux sources de l’information, au souci permanent de les identifier, de les recouper. Cette signature n’a finalement besoin que de deux choses pour qu’on lui pardonne sa suffisance : du temps et des preuves. Il suffira peut-être d’un navire de Greenpeace saboté, de quelques Irlandais de Vincennes⁴ et de beaucoup de talent pour qu’elle acquiert sa légitimité : celle d’un Mediapart devenu premier site d’investigation de la presse française.

Après tout, personne n’est choqué aujourd’hui par le non moins prétentieux No FT, No comment signature légendaire du Financial Times.⁵

Le créatif

Je n’ai que peu de mérite à avoir identifié le coupable de cette signature.

Ses aveux étaient enregistrés très simplement sur la boîte vocale de mon mobile. J'avais demandé à l’agence de parler au responsable du budget et la réponse était tombée : on vous rappellera !

Nicolas Bordas, Président du groupe TBWA France, en charge des millions de problèmes d’un patron qui veille aux destinées de 22 agences, se confesse avec humour et sincérité.

Il a toujours aimé les signatures, il en a commis de nombreuses dont, par égard pour ses équipes en particulier les créatifs, il n’a voulu faire état. Mais là, c’était un cas… à part ! Son respect pour Edwy Plenel, son excitation pour le projet, l’avait mis en première ligne et singulièrement stimulé les neurones.

Il tenta un L’autre partie de l’inforejeté par Plenel. Il s’amusa d’un La face cachée de l’info⁶ mais c’est finalement le journaliste qui, en rappelant son ambition de revenir aux sources… du journalisme, le mènera vers la solution. On comprend, et pour cause, cette joie du publicitaire qui sent qu’en quelques mots il peut servir une marque. Surtout lorsque son interlocuteur, le journaliste, fait appel à Camus pour en résumer l’ambition : « l’idéal du journalisme, c’est d’élever un pays en élevant son langage ».

Thomas Jefferson, infiniment plus sceptique sur le journalisme affirmait lui : « Advertisements... contain the only truths to be relied on in a newspaper. »

L’avenir et les lecteurs prononceront seuls la sentence. Ils diront si L’info part de là était à la hauteur de la marque, si Mediapart méritait cette signature. Ils décideront qui du journaliste ou du publicitaire aura été trop loin ou s’ils se seront complétés pour faire d’un projet une marque et d’une marque un succès.

Nous saurons alors qui, de Camus ou de Jefferson, ils auront fait mentir.

  • Edwy Plenel a passé près de 25 ans au journal Le Monde dont il est devenu Directeur de la rédaction en 1996 avant d’en démissionner en 2005. En savoir plus
  • Agence TBWA MAP
  • Procès Edwy Plenel Folio 2006
  • Deux des affaires révélées par Edwy Plenel dans le Monde et qui ébranlèrent le pouvoir
  • Autres signatures emblématiques de grands médias : We report. You decide Fox News. It is. Are you ? The Independent.
  • Référence au livre polémique de Pierre Péan et Philippe Cohen La face cachée du Monde ( Mille et une nuits 2003) qui mettait notamment en cause les choix éditoriaux d’Edwy Plenel.

ndlr : en 2013, cinq années après le lancement de cette signature, l'affaire Cahuzac éclatait. Un ministre de la République tombait grâce au travail d'investigation du site d'information. L'info était bien partie de Mediapart.

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