Tesco - Every little helps
On dirait le début d’une comptine. C’est la devise de Tesco, géant de la distribution alimentaire au Royaume Uni. La preuve que 3 petits mots peuvent changer la face du commerce.
Voici une recette pour réussir une signature :
1. Prenez un constat de société bien juteux : par exemple le gigantisme des sommes gérées par le capitalisme financier
2. Filtrez et réduisez ce constat à l’essentiel : l’énormité
3. Retournez pour inverser: l’énormité devient le “tout petit”
4. Choisissez une expression usuelle, un dicton, une formule passée dans le langage courant utilisant ce « tout petit ».
5. Retirez un mot ou deux, pour redonnez fraîcheur à ce dicton.
6. Salez, poivrez, avec un phrasé rythmé. Ex :deux-deux-un Eve-ry/lit-tle/helps
7. Servez tel quel en signature.
La difficulté de l’exercice réside dans le point 1: le choix du constat de société.
C’est tout le travail du planneur stratégique : relier un enjeu sociétal à un argument produit.
Voyons comment Tesco, un géant de la distribution l’a réussi, mieux que tous ses concurrents. Ce sera l’occasion de valider notre recette.
1. Tesco est anglais. L’anglais est la langue de l’understatement, de l’ellipse et des limericks¹. La Grande Bretagne est aussi le pays de la finance, des hedge funds et des traders qui gagnent des bonus par milliards.
2. Ces bonus distribués aux financiers de la City sont colossaux : en décembre 2006 l’un d’entre eux a reçu une prime de 100 million de dollars ! 4200 autres se sont contentés de 2 millions de dollars en moyenne. A ce niveau là, on ne compte plus. En sortant du bureau, on passe devant une concession Jaguar et l’on rachète tout le stock. Very big indeed.
3. A l’inverse, ceux qui font leurs courses connaissent le montant de leur caddy à 1% près. Quite little indeed.
4. Les expressions les plus courantes concernant l’importance de l’argent, pour ceux qui n’en ont jamais suffisamment, c'est-à-dire pour tout le monde, sont
“every penny counts” et “every little bit helps”
5. Il suffit d’enlever un « bit » et le tour est joué. Apparaît une expression à la fois familière et innovante. En figure de style, cette ellipse s’appelle une brachilogie.
6.7. Tesco. Every little helps, signature du leader de la distribution UK.
Traduction littérale : chaque petit (geste) compte…
Chaque petit mot compte.
Every little helps a connu un succès considérable depuis sa création².
Un succès du à 3 mots qui agissent en profondeur, à plusieurs niveaux.
Little : l’engagement low cost.
C’est une façon bien sympa de dire « les prix bas ». Comparez avec l’autre géant mondial Walmart qui martèle Everyday low prices. Always. L’assommante lourdeur d’une rengaine opposée à l’élégance modeste d’une contine.
Le problème n’est pas dans l’argument, mais dans le style. Il n’y a pas de mal à parler prix, quand on est commerçant. Depuis son invention, il y a plus de 150 ans, la grande distribution répète un seul argument majeur : le prix. Depuis 150 ans aussi, elle a toujours massivement investi en publicité. Le fondateur du premier grand magasin américain, nommé Wanamake, gagna $24.67 le jour de l’ouverture. Dès le lendemain il en réinvestit $24 en publicité. C’est le même qui déclara plus tard « la moitié de ce que je dépense en publicité est perdu. Mais je ne sais pas laquelle ».
La publicité sur les prix bas est donc l’unique et obsessionnel mantra de tous les commerçants du monde. Mais le problème, c’est la forme.
Style pesant + bombardement media = indifférence et même rejet des consommateurs.
Au palmarès des publicités ridicules et dont on se passerait volontiers la grande distribution a remplacé la lessive. Avis aux nouveaux Coluche.
Tesco, lui, joue modeste. Il nous dit « chaque sou compte, il n’y a pas de petites économies, et je défends ainsi votre pouvoir d’achat ».
Every : l’engagement personnel.
Tesco a fait de cette signature une philosophie. Tout son personnel en est convaincu : la réussite tient à une multitude de petits gestes, de petits détails.
Tout compte pour faciliter et rendre plus agréable le lieu et l’acte d’achat.
Commentaire de William Gordon, consultant Accenture, spécialiste de la distribution : « La première fois que j’ai entendu every little helps , j’ai trouvé la formule un peu étrange (slightly odd). Mais j’ai réalisé que chaque employé de Tesco la comprend. Il comprend que chacun de ses gestes, même le plus simple, contribue jour après jour à aider le consommateur, et aussi à l’aider dans son travail.
Cette signature est un formidable exemple où corporate et branding sont traduits directement en actes qui ont du sens pour toute personne, aussi modeste soit elle. Remplir des rayons, servir les clients, tout cela prend un sens avec Every little helps.
Helps : l’incitation à cumuler des points de fidélité.
Tesco fut le premier distributeur à proposer une carte de fidélité. 10 millions de clients l’ont adopté. Une carte aide à économiser, à protéger son pouvoir d’achat.
La signature Tesco est remarquable sur ce point : elle justifie et encourage les visites fréquentes. Cette augmentation du trafic est la meilleure recette pour augmenter le chiffre, en favorisant les achats d’impulsion.
Suite à ce succès, le principal vendeur de primes promotionnelles, Air Miles, à abandonné le concurrent Sainsbury pour rejoindre le programme de fidélité. Une infidélité dans la fidélisation, en quelque sorte.
Retour sur signature : + 3 800 %.
La signature Tesco et sa campagne ont remporté deux fois le prestigieux prix IPA de l’efficacité publicitaire. Sur une longue période, il a été calculé que chaque euro investi en publicité en rapportait 38 ! Une étude spécifique menée en 2001 a même estimé que le budget de 3,2 milions de £ avait rapporté 350 millions £ de chiffre d’affaires, soit + 10 937% !
Aujourd’hui le budget publicité de Tesco atteint 75 millions d’euros. D’après ce qui précède, il contribue à générer un chiffre d’affaires additionnel compris entre 2,3 et 7,5 milliards d’euros, sur un chiffre global Tesco de 44 milliards d’euros. Not bad, indeed.
Ceci explique l’histoire récente du budget : l’été dernier, l’équipe Lowe, créatrice de cette signature, a quitté le groupe Interpublic qui l’avait rachetée.
Elle a aussitôt reconquis le budget, sans création spéculative ni mise en concurrence, et avant même que la nouvelle agence ait une existence légale.
Il y a de petits mots qui rapportent gros.
- Petit poème en 4 ou 5 vers, alliant humour et jeu linguistique, qui se termine par une Punch Line ou « heart of the joke ».
- Signature crée en 1995, inchangée depuis. Agence Lowe : Sir Frank Lowe, Paul Weinburger
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