Anjou - la force de la douceur
Il y a des signatures de marque qui s'imposent comme une évidence. Par leur simplicité, leur pertinence et le petit truc en plus qui les rend mémorables. Celle-ci n'existe pour l'instant que dans le Maine-et-Loire et dans un bloc-marque. Nul doute que ce sera bientôt une arme de guerre dans la compétition acharnée que se livre entre eux régions et départements.
C’est un sacré rédac. Son nom : du Bellay. Il est parti à Rome accompagner son tonton qui est aussi cardinal. Il le suit en tant qu’intendant et secrétaire. On est vers 1553. Mais le pauvre Joachim, c'est son prénom, commence à se lasser de la ville éternelle et des intrigues vaticanes.
En bref, il a le mal du pays. Or la nostalgie est une source puissante d'inspiration.
Notre ami se met donc à pondre un recueil de poèmes qu'il publiera à son retour en France.
Bingo. Les Regrets figure parmi les plus belles pages de la poésie française : 191 sonnets, tous écrits en alexandrins. Demandez aux créatifs de Buzzmann ou de Romance d’en faire autant !
L’un des poèmes, inspiré par le mythe d’Ulysse qui espère le retour dans sa patrie, commence par ces vers célèbres :
« Heureux qui comme Ulysse, a fait un beau voyage »
mais se poursuit trois alexandrins plus tard par
« Quand reverrai-je, hélas, de mon petit village,
Fumer la cheminée, et en quelle saison,
Reverrai-je le clos de ma pauvre maison. »
On en a presque les larmes aux yeux. Les restos romains devaient être moins bons qu’aujourd’hui. Surtout - Que les Italiens lui pardonnent un tel chauvinisme - il conclut :
« Plus mon Loire Gaulois, que le Tibre latin,
Plus mon petit Liré, que le mont Palatin (Liré est la petite commune du Maine-et-Loire où est né notre poète) »
et la chute :
« Et plus que l’air marin la douceur angevine. »
Voilà. Le claim est lancé. Cela fait plusieurs siècles qu’il est associé à l’Anjou, région historique française qui correspond au département du Maine-et-Loire. Douceur du climat et du paysage qui s’étire le long des deux fleuves.
Il y a quelques mois, Anjou tourisme et le département sont convaincus que la marque Anjou doit continuer de s’affirmer * et de s’ancrer durablement pour attirer entreprises et touristes mais également développer la fierté d’appartenance des habitants.
Une agence de communication est choisie **. Celle-ci, après une première réunion, est avertie : « essayez de creuser la diversité de notre territoire ! Oubliez la douceur. Bien trop mou pour que les habitants s’y reconnaissent et que les touristes débarquent ». Un peu comme si on avait osé parler de chaleur humaine dans le Nord ou de volcans en Auvergne.
Du Bellay se retourne dans sa tombe. Et l’agence retourne à ses travaux.
Pourtant la douceur résiste. Le planning stratégique de l’agence fait valoir que la douceur est non seulement spécifique mais qu'elle est aussi synonyme de bienveillance, de tempérance, de nuance. Des valeurs qui, à notre époque, font cruellement défaut, non ? Dans le Maine-et-Loire, sur le plan politique, on ne sait pas trop ce que sont les extrêmes. Et ce, depuis longtemps. Rien que pour ça, on a envie d'y aller.
Les habitants - des sages - doivent se sentir proches de la phrase de Camus : « Nous étouffons parmi des gens qui pensent avoir absolument raison ».
Bien plus qu’un département, l’Anjou est un tempérament.
Il y a donc bien quelque chose de distinctif dans cette région. La douceur.
Essayez de mettre un autre nom de territoire ou de région à côté de ce mot ? Vous allez avoir du mal. Il est donc essentiel de se cramponner à cet attribut et à ce terme.
D'ailleurs, quand on les interroge, les autochtones trouvent de la douceur partout : le Crémant (un vin pétillant), la Maine et ses guinguettes, le pâté aux prunes, les fouées (petites boules de pain fourrées), les Montgolfières qui flottent au gré du vent au-dessus des châteaux, le crémet (un dessert non sucré) …
Reste à « dé-mollir » la douceur.
Ce sera Anjou. La force de la douceur grâce au métier du rédacteur qui sait qu’une bonne figure de style, une opposition en l’occurrence, peut faire énormément pour la mémorisation d’un slogan. ***
Le logo, tout en rondeur, en forme de cœur tourné vers la droite achève l’identité.
Trouver une signature de marque pérenne est un exercice compliqué. Cela peut être une grande idée, une disruption, un détournement, une forme exceptionnelle. C’est aussi parfois la réaffirmation d’un caractère distinctif et immuable de la marque. Comme une évidence. Mais qu'on n'osait pas mettre en avant.
Joaquim peut reposer en paix. Sa trouvaille transformée en signature de marque vient de reprendre du service pour de nombreuses années.
Ne manquent au tableau que quelques visuels pour que cette identité s’incarne, que les futures campagnes voient le jour et drainent des milliers de Parisiens comme moi vers cette douce contrée, loin de la dureté de la capitale.
Pour l’instant, la première étape de ce chantier consiste à l’appropriation de la marque par les habitants. Bref on commence par le local avant de passer au national.
En Anjou, la communication aussi se fait en douceur.
- Slogans antérieurs exploités par le territoire :
- Anjou. Cultivons l’émotion.
- C'est l'Anjou, c'est en vous.
- En Anjou partageons ce qui compte.
- L’Anjou, royaume du végétal.
- L’Anjou est plein de vie.
- Agence LMWR
- Directeur de clientèle : Samuel Pineau
- Planneur stratégique : Pierre-Jean Fardin
- Concepteur-rédacteur : Sylvain Calage
- Directrice artistique : Lucie Clavurier
- Quelques slogans mémorables construits sur une figure d’opposition, et plus précisément des antithèses ou des paradoxes :
- Quelques grammes de finesse dans un monde de brute - Lindt 1992-1995
- Faire du ciel le plus bel endroit de la terre - Air France 1999-2014
- Faire le mâle, c’est bien - DIM 1989-2001
- Ça fait du bien là où ça fait mal - Synthol 1981-2018
- New is old - Back Market 2019-2021
- Pendant qu'on est devant Canal +, au moins on n'est pas devant la télé - Canal + 1994-1997
Moins connus :
- Le son chaud venu du froid - Electrocompaniet 2007
- Ouvert au lève-tôt et aux couche-tard CAP 2012
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