Buggy - Declaration of Independence
Tout le monde ne peut pas inventer Just do it. Dans le genre rébellion rigolote, voici un concept sympathique pour vendre des pompes aux ados.
Qui a inventé la chaussure de sport ? L'Amérique. Les indiens avançaient silencieusement dans la prairie sur leurs fins mocassins.
Nike, Converse, Adidas, n'ont fait qu'emboîter le pas. Ils ont vendu des milliards de sneakers. Chaque jeune américain en possède de 5 à 40 paires, selon son âge, et son exposition à la publicité. De quoi alimenter un marché USA de 17 milliards de dollars !
Le nom sneakers est une création publicitaire américaine, de l'agence Ayer en 1917. Il veut dire « furtif », en référence au silence des premières chaussures caoutchouc.
Premier positionnement et hommage mérité, rendu à la technologie Sioux.
Sur ce terreau américain, il faut communiquer américain. C'est la légitimité de la semelle. Tous les sneakers sont supposés venir des rues de New York ou des skate parks de Californie. Une enquête récente a montré qu'Adidas est pour 50% des jeunes américains une marque made in USA. En France la proportion ne doit pas être si éloignée.
Pour vendre du silence, il faut faire du bruit.
Le sneaker c'est 5% de caoutchouc et 95% de bruit pour les ados.
Il faut de la rumeur, du rap, du street talking. Il faut de l'excitation, du danger, du fast and furious. On ajoute ensuite du logo (celui de Nike a couté 35$) de l'art, (surtout pas underground pour des chaussures), de l'animation internet, du sponsoring sportif et beaucoup, beaucoup de musique: Adidas par exemple invite chaque année une dizaine de DJs au Winter Music Festival de Miami, la plus grande manifestation hip hop du monde.
Auriez vous en mains le perfect sneaker mix ? Pas tout à fait. Il vous manque une cause.
Nous avons tous besoin de chausser un idéal.
Pourquoi dépenserions-nous 100 euros pour une paire de semelles en caoutchouc ?
Pour la bonne cause. Parce que quelque chose nous fait courir…
Par exemple le courage, la détermination, la passion, comme pour la signature emblématique de Nike : Just do it (1988). Élue par Advertising Age une des 5 plus marquantes du 20ème siècle, elle a propulsé Nike en tête des ventes mondiales.
En moins de 10 ans, elle a fait passer sa part du marché mondial de 18 à 43 %. Cette signature est l'œuvre d'un rédacteur qui savait écouter : Dan Wieden, fondateur de l'agence Wieden & Kennedy. A l'époque c'était une micro agence dans une cave de Portland, Oregon : au total 3 employés et une machine à écrire en location !
Cette signature de légende n'a pas été écrite par hasard. Wieden a su écouter, capter, la passion des gens de Nike.
Le premier talent d'un publicitaire c'est de savoir écouter son client. Car celui-ci finit toujours par dire… l'essentiel.
Ce fut le cas pour Bernbach avec We try harder prononcé par les gens d'Avis lors d'une présentation. Ce fut le cas pour Dan Wieden. Lors d'une réunion avec le management de Nike, admiratif devant leur attitude « Can –Do » , il s'écrie avec enthousiasme « You Nike guys, You just do it ».
Puis il rentre dans sa cave pondre 5 ou 6 signatures, parmi lesquelles Just do it. Un appel, un encouragement, un coup de pied au cul pour tous les sportifs de la planète. Tout est dans le Justporteur de simplicité, de décontraction cool. Une simplicité évidente que l'on retrouve dans le it"où chacun peut trouver son sport, son activité physique. En pleine époque aerobic, une signature de révolte contre le laisser aller, une exhortation cool, pour une grande cause : soi même.
Comment porter cette rébellion une génération plus tard ?
Née il y a 40 ans, la marque Buggy est moins connue que sa grande sœur Eram.
Dynamisée par une nouvelle direction, elle choisit une nouvelle agence¹. Le brief est direct : ciblez les jeunes, adolescents,« adulescents », jusqu'aux « sneaker freakers ».
Et n'oubliez pas que nos concurrents s'appellent Converse, Nike, Diesel, Van's et toutes autres marques qui jaillissent de l'asphalte.
L'agence en charge du budget Buggy est une équipe de seniors qui vivent et pensent comme des ados. Elle a réalisé une étude européenne sur les aspirations des 15/18 ans.
Les conclusions sont, dans l'ordre :
1-Profiter de la vie
2-Avoir de bonnes relations avec ses parents
3-Rejeter tout ce qui est ennuyeux
Rejet, rire, relations avec l'autorité. Tout est en place pour un concept simple:
Une chaussure est une révolte. Toute révolte commence par une marche : marche du peuple sur Versailles, marche des noirs sur Washington, marche de Gandhi jusqu'à la mer. Aujourd'hui la révolte est une marche dansée, au rythme du rap, du hip hop, jambes en extension, chaussures à la hauteur des yeux…
Converse l'a bien compris avec sa campagne noir et blanc "Connectivity": elle rassemble les icônes de la révolte, mixant passé et présent: James Dean (Rebel without a cause), Sid Vicious, Nina Hagen, Hunter Thompson, Billie Joe Armstrong.
Buggy, avec d'autres moyens, prend un autre chemin: la révolte dans l'humour. La rébellion rigolote.
La vie est trop courte pour se rebeller triste².
Buggy traite la rébellion avec le sourire. Elle met littéralement les pieds sur la table, semelles devant ou semelles de vent comme Rimbaud, face à l'autorité surprise, choquée, bousculée : les militaires, les parents, demain peut être les keufs, les banquiers, les utilisateurs de PC. Bref tous les rigides et les frigides.
Une proclamation boucle le message : Declaration of Independence.
Les ados adorent. Testé sur des lycéens et des étudiants, ils percutent tout de suite. Ils restituent tout : le zapping, l'émancipation, le rejet des traditions et des normes, les USA, la déclaration des droits de l'homme et de la femme
Les parents aussi comprennent. Au final ce sont eux qui paient. Et le message dit à sa manière : faites comprendre à vos enfants que vous les comprenez Et que vous avez suffisamment d'humour pour rire de vous mêmes.
Les chaussures Buggy, c'est le contraire de la prise de tête. Pas de positionnement au 3ème degré, pas d'accroche, juste une signature, internationale : une vraie déclaration prêt-à-porter par les ados. Une sorte de « Yes we can… walk ».
C'est bien mieux que ces injonctions dont les vilains et vieux publicitaires nous bombardent. Et en arrière plan, voici toujours l'Amérique, pays de la jeunesse, de la liberté, de l'optimisme, pays d'Obama, le premier président basketteur.
- Talents Only
- Référence à la signature de New Man : La vie est trop courte pour s'habiller triste (1982)
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