Lyon - Only Lyon
Publié le 4 mars 2007 par Jean-Luc Gronner
Lecture 3 min.

Lyon - Only Lyon

onlylyon

Est-ce une signature, un nom de marque ? En tous cas l'un des plus beaux exemples de marketing territorial. Et probablement la seule anagramme utilisée dans un slogan.

2005. Nous sommes aux États-Unis dans un grand salon international des biotechnologies : Bio Chicago.

Parmi 1500 autres exposants du monde entier, Lyon est là. Qui essaye de faire bonne figure. Mais lorsqu'on découvre le stand, on a le tournis: pas moins de 20 logos sans compter plusieurs slogans. Toute cette débauche pour évoquer un territoire de quelques milliers de kilomètres carrés.

Le chercheur californien ou la firme japonaise intéressés risquent d'y voir davantage du folklore que du branding.

C'est de cette fâcheuse impression que naît l'idée d'en finir avec le patchwork et de donner dans l'étendard. Unique si possible.

Medef, CGPME, Chambres consulaires, public, privé : tout ce beau monde se retrousse donc les manches.

À force de réunions, aidés par leur agence¹, ces entrepreneurs habitués à la gouvernance, dignes héritiers des commerçants de Lugdunum qui animèrent ce qui fût la seconde ville de l'empire romain, ces gens donc, accouchent... d'une anagramme.

Only Lyon flottait dans les esprits depuis quelques années sur les rives du Rhône.

Il faut dire que la précédente devise datait de 1240, lors de la rébellion de la bourgeoisie qui instaura la première municipalité, placée sous la protection du roi de France : avant, avant, Lyon, le Melhor.

Pas vraiment un winner à l'heure de la mondialisation. Professionnelle, l'agence ne voulait pas proposer quelque chose du genre La ville de l'excellence ou autre truc rasoir.

Modeste, elle reconnaît avoir voulu s'inspirer du célébrissime I love New York ou du plus récent I am sterdam. Et admet volontiers qu'elle n'a pas la primeur de la trouvaille puisque l'idée avait déjà été prise avant. Lyon a d'ailleurs dû racheter la signature déposée comme marque par... une agence de communication qui avait anticipé le coup.

La rhétorique - l'art de bien parler et de persuader par le langage - est un réservoir inépuisable d'idées dans la création des signatures qui comportent force figures de style comme les oxymores, les allitérations, et autres chiasmes.Il est beaucoup plus rare d'utiliser une anagramme qui est le résultat de la permutation des lettres d'un ou plusieurs mots de manière à produire d'autres mots qui ont un sens.

À toutes les époques, les hommes de lettres dont - au sens littéral - les rédacteurs publicitaires font partie, ont joué avec les mots. Un certain Lycophron de Chalcis, 300 ans avant Jésus Christ aurait inventé ce délicieux passe-temps en déclarant que son souverain Ptolemaios correspondait à Apomelitos, « celui qui vient du miel ».

Le même Jésus Christ aurait répondu à une question de Ponce Pilate « Qui est veritas » (Qu'est ce que la vérité ?) par cette anagramme « Est vir qui adest» (C'est l'homme qui est ici).

À la Renaissance, les écrivains s'entichent de l'anagramme. A partir du nom de la favorite de Charles IX, Marie Touchet, celle-ci devient « Je charme tout », le I équivalant au J.

L'Histoire est d'ailleurs riche d'anagrammes célèbres. Révolution française sera traduit par « un veto corse la finira ».

« Napoléon empereur des Français » peut se lire « Un pape serf a sacré le noir démon ». On reprocha au pape d'avoir été servile en sacrant Napoléon empereur à Paris.

L'anagramme sert avant tout à composer des pseudonymes : Alcofibras Nasier (François Rabelais) est le plus célèbre. Boris Vian signait ses lettres Bison ravi. On se souvient de l'inénarrable Avida dollars de Salvador Dali. Plus près de nous, certains ont proposé Naturel Abusif pour Laurent Fabius qui ne l'a pas volé.

De nombreux auteurs se sont penchés sur le sens profond des anagrammes ; ainsi la psychanalyste Julia Kristeva qui y voyait une voie d'accès à l'inconscient du travail poétique.

Même le grand Saussure a failli perdre ses derniers neurones en cherchant dans la poésie latine le sens des « mots sous les mots ».

Dans l'anagramme lyonnaise, le sens est simple : ce n'est qu'à Lyon qu'on trouve le n°1 mondial du vaccin, un labo P4, une fête des lumières qui attire 3 millions de spectateurs... Arrêtons la liste. On l'aura compris, Lyon ne manque pas d'atouts uniques qui rendent légitime cette affirmation de l'exception.

Sauf que l'anagramme nous fait oublier la vanité de l'expression.

Seulement à Marseille aurait été tarte. Uniquement Toulouse sans intérêt. Mais Only Lyon passe bien à cause de la pirouette intellectuelle que représente l'anagramme.

Sans parler, à défaut d'un message bouleversant d'originalité, d'une évidente vertu fédératrice – c'était sa première ambition. Et d'un effet d'entraînement. Désormais c'est derrière cette anagramme à laquelle les responsables du Grand Lyon ont ajouté un lion - oui l'animal - que se déploieront les hordes de Lyonnais qui, dans les salons internationaux, tenteront de combler le déficit du commerce extérieur de la France.

Une signature devenue nom de marque, un blason. En matière de gestion de marque, on peut difficilement faire plus ramassé.

* Jump Lyon

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