Télérama - Tutoyons la culture
Si vous n'avez pas acheté Télérama depuis longtemps ou téléchargé l'appli, voici une signature qui pourrait changer votre regard sur cette marque.
« Excuse-moi si je te tutoie. Je dis tu à tous ceux que j'aime ».
Depuis quelques jours, comme Jacques Prévert, Télérama tutoie.
Pas n'importe qui : la culture. Et en la tutoyant montre son amour pour elle.
Ce n'est pas nouveau. En 1991 avec Prenez votre culture en mains¹ Télérama nous invitait déjà, de façon amusante, à prendre soin de notre culture et pour ce faire à acheter son journal papier.
Pendant des décennies, le magazine a eu de nombreux passionnés. Et encore plus de détracteurs, agacés par beaucoup de condescendance et nombre de critiques dithyrambiques sur des films regardables que par quelques intellos germanopratins. Puis, peu à peu la marque a vieilli en même temps que ses lecteurs.
En 2007, Télérama prenait courageusement le contre-pied des critiques adressées à son encontre avec une signature gonflée : Nous sommes durs. Vous êtes pires qui ne durera pas longtemps.²
Aujourd'hui, avec ce Tutoyons la culture, Télérama reste fidèle à sa thématique mais souhaite faire connaître sa nouvelle formule et son nouveau positionnement.
Oubliez le magazine, encore plus l'hebdo télé qui sent - dans son nom même - les années 70 comme Conforama ou Castorama dans d'autres secteurs. Et, découvrez un média culturel connecté qui s'adresse à un public rajeuni à travers tous les canaux possibles en couvrant tous les champs culturels.
L'objectif est d'ailleurs annoncé : gagner 40 000 nouveaux abonnés numériques ces deux prochaines années. Le même nombre que celui acquis depuis deux ans.
Le Président de l'agence qui a créé la campagne³ commente : « Télérama est un média qui décrypte et défend une très grande diversité de cultures, ce qui en fait un média essentiel dans un monde où les bulles à filtres et le renfermement intellectuel présentent un danger réel ».
Bien vu.
Et pour faire ça, combien de divisions ?
135 journalistes, ce qui n'est pas rien. Qui parlent aussi bien de la dernière série sur Netflix que du hip-hop ou du gaming.
La gamberge créative de l'agence⁴ peut se résumer ainsi : partons graphiquement du T, icône de l'application Télérama, faisons un film dans lequel on interpelle la culture comme si c'était une personne proche.
C'est ainsi que le tutoiement est devenu le socle de toute la campagne. Y-compris en print avec des accroches commençant par « T'es », qui est aussi phonétiquement, la première syllabe de Télérama.
Le rédacteur, modestement, indique que la signature est tombée un peu par hasard comme un fruit mûr pour encapsuler la stratégie créative.
Il faut pourtant saluer la forme de cette expression. D'abord, il s'agit presque d'un oxymore tellement le tutoiement, donc la proximité, est à l'opposé de la Culture, en tout cas de son image distante et surplombante véhiculée en partie d'ailleurs par Télérama lui-même.
Ensuite, le verbe tutoyer est une façon singulière et poétique de dire « soyons plus proches ». On dit « tutoyer la mort » pour parler d'un pilote téméraire.
Le mot n'a d'ailleurs été utilisé que 4 fois dans la publicité française⁴. Or un mot nouveau ou rare imprime forcément mieux nos cerveaux déjà gavés de mots rendus banals par leur surexploitation dans la communication des marques.
Convenez que La culture n'a jamais été aussi proche n'aurait pas eu le même impact sur vous.
Et puis cette 1ère personne du pluriel est bien plus intéressante que ne l'auraient été Tutoyer la culture ou Le média qui tutoie la culture, formes trouvées par les créatifs mais vite abandonnées. On peut également lire ce Tutoyons comme une invitation adressée également aux journalistes eux-mêmes.
La Présidente du directoire de Télérama⁶ semble sincèrement très fière de cette campagne. Elle peut. Et d'ajouter que la signature a « vocation à durer longtemps ». C'est tout le mal qu'on lui souhaite et cela dépend largement d'elle.
Pour notre part, on émettra le souhait qu'avec cette même signature, le ton des futures campagnes se fasse plus décalé au fur et à mesure que la marque poursuivra sa cure de rajeunissement.
Retrouvée dans mes placards, cette annonce au ton un peu vachard accompagnée d'une signature qui, elle, durera près de 15 ans :
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