Paris Match - La vie est une histoire vraie
Publié le 15 septembre 2008 par Michel Pasquier
Lecture 2 min.

Paris Match - La vie est une histoire vraie

Paris Match -logotype

Vous avez le choix. Soit pleurer la disparition d'une signature mythique. Soit applaudir la mort d'un slogan usé jusqu'à la corde. Voici un point de vue.

Le film vous prend à la gorge. Les affiches réveillent vos souvenirs et vos émotions.

Sous les photos, les nouveaux mots La vie est une histoire vraie semblent froids, presque distants.

1979. La signature historique de Paris Match est née d’une insomnie¹. Roger Thérond, dirigeant emblématique de Paris Match, fou de photos, ne pouvait pas dormir. Une nuit, de retour du bureau, il note sur un calepin le poids des mots . Il ne restait plus le lendemain qu’à trouver la rime.

Cela faisait 30 ans que les grands reporters couraient le monde, et risquaient leur vie, pour rapporter/reporter l’odeur du sang, les cris de joie, le bruit des armes, le silence des larmes.

Quelques mots sur un calepin, et Paris Match retrouva sa raison d’être : faire entendre « le bruissement de l’actualité ».

Un quart de siècle après la mort de Pedrazzini sur les barricades de Budapest et le mariage de Grace de Monaco, ces quelques mots rappelaient le credo de Paris Match : un journal de journalistes, dans la grande tradition d’Albert Londres et de Kessel.

Le poids des mots, le choc des photos .Mille fois repris, mille fois copié et, consécration suprême, mille fois détourné. Bien plus qu’un slogan, bien mieux qu’une signature, c’est devenu un mythe populaire.

C’est rare. Cette signature est la fusion exceptionnelle des deux aspects les plus importants de notre vie : le rationnel et l’émotionnel, le verbal et le visuel.

Credo, cri de guerre, implacable constat qui rejette la concurrence dans le fossé des journaux à bla bla ou des picture magazines, cette phrase s’est imposée comme une vérité éternelle.

Faut-il casser un mythe ?

Un des rares points sur lesquels tous les publicitaires sont d’accord, c’est que la marque est un capital. Coûteux à créer, coûteux à défendre. Ce capital est constitué par …des mots et des images. Al Ries, inventeur du positionnement a dit dans ses 22 règles immuables du marketing : Règle 5 « Etre le possesseur exclusif d’un mot dans l’esprit du consommateur ».

Quels mots possède Paris Match, dans l’esprit des consommateurs ? Ceux de la signature Le poids des mots, le choc de photos. Abandonner ces mots est un risque énorme. Car qui peut prétendre atteindre un taux de notoriété de 90% et surtout une sympathie aussi forte pour un slogan mythique ?

Le poids des mots… fait partie du capital immatériel de Paris Match. Le supprimer c’est forcement détruire de la valeur. Car il va falloir reconstruire une base de notoriété, de sympathie pour les mots mêmes de la signature.

Le poids des mots… fait aussi partie de notre patrimoine collectif.
L’oublier, c’est redevenir un produit et non plus un mythe. C’est redescendre, devenir un support media comme les autres.

Le culte du moment présent, la religion des tendances ont eu raison de la signature Paris Match. Celle-ci a été déconstruite terme après terme. Imaginons le « raisonnement ».

Les mots d’abord. Qui s’intéresse encore aux belles plumes ? Il est fini le temps des Kessel. Qui veut encore lire deux pages d’analyse sur la guerre du Liban ? Il n’y a plus d’amoureux des mots.

Les lecteurs sont devenus des feuilleteurs, puis des voyeurs. Le niveau scolaire dégradé y est pour beaucoup, mais surtout la concurrence chronophage des nouveaux media. Internet, Ipad, Iphone c’est du temps en moins pour le papier, pour les « papiers » des écrivains–reporters.

Pour les photos, interrogez les agences. Celles de photo, pas celles de publicité. Elles vous diront la nouvelle « attente » du marché. Mieux vaut faire la sortie d’une boite de nuit, que risquer sa vie en Tchétchènie. Britney Spears oui, Grozny pas vraiment.

La tendance est à la « vraie vie », la télé-réalité. Tout doit être vrai, ou du moins faire vrai. Alors vive la vidéo et vive YouTube, jetons nos Leica et nos Nikon, puisqu’ une image volée sur un téléphone portable suffit à capter le réel en prise directe.

Le film Paris Match est d’anthologie. Il résume de la manière la plus simple l’essence du journalisme : proximité, implication, humanité.

Il est aussi une magnifique illustration de l’« ancienne » signature.

Personnellement, j’ai été ému quand j’ai entendu l’opposition « ceci n’est pas une zone de combat. C’est la rue où j’ai joué quand j’étais petit ». Vérité et nostalgie. Les mots dénoncent le vocabulaire convenu, euphémique des militaires, des diplomates, «la zone de combats » à la vérité « de la rue ».

Le concept est lumineux : l’humain plutôt que les stéréotypes de l’actualité. « The human side of the story “. Il est facile alors de deviner comment, par amour du film, Paris Match a « acheté » la nouvelle signature « qui va avec ».

Mais paradoxalement l’« ancienne » signature correspond mieux au film que la nouvelle.

La vie est une histoire vraie : « on dirait Auchan » « ça sent la pub » « ça sonne comme du Jean-Pierre Pernaud » « ça fait un peu Lelouch ». De l’étudiante au cadre dirigeant, du retraité au patron de pub, beaucoup restent froids devant la formule. D’où vient cette réticence ?

Certainement devant la nouveauté. Nous savons tous qu’une signature a besoin de temps pour s’imposer... quand elle s’impose.

Mais il y a plus ennuyeux. L’effet « halo » de l’expression « histoire vraie ». Oyez, oyez braves consommateurs, voici une histoire vraie. Aussitôt, dans nos neurones l’alerte se déclenche.

Pourquoi donc ces publicitaires insistent-ils tant sur le vrai ?

Les nouveaux consommateurs, sont habiles à décoder le langage des media. Ils savent bien que les drames de la télé réalité sont scénarisés à l’avance. Ils savent que les photos intimes des hommes et des femmes politiques, sont soigneusement mises en scène par des spin-doctors. Ils découvrent avec Dove et Photoshop la possibilité de retoucher boutons et bourrelets. Ils apprennent chaque jour, sans les media eux mêmes, les ruses des communicants et de leur story telling.
Le vrai sonne faux. Surtout quand il s’agit d’histoires.

Quel est le premier public d’un magazine ? Les annonceurs. Le prix de vente d’un numéro de Paris Match couvre à peine 40% du prix de fabrication et de diffusion.

La nouvelle communication vise d’abord ces grands annonceurs.
Preuve supplémentaire : les ventes de Paris Match vont très bien. En 2007, elles ont progressé fortement:+14,5 % en kiosque, +8% en abonnements. Une exception étonnante en regard d’une presse quotidienne en quasi-faillite, (sauf le Parisien), et de magazines presque tous en recul, sauf exceptions comme Psychologies.

La nouvelle signature apparaît alors comme un thème de « respectabilité publicitaire ». Paris Match n’est pas un journal people, ni une presse de salle d’attente. Il mérite de vrais investissements, pour toucher de vrais lecteurs.

Un magazine qui installe une « relation chaude, affective, quasi passionnelle avec le lecteur » déclare le patron de l’agence qui a créé campagne et signature². De quoi nourrir « l’involvment » critère si cher à tous les experts en communication.

Mais même les annonceurs sont des hommes comme les autres : ils sont sensibles … au poids des mots. Pour eux aussi une signature légendaire reste plus forte qu’une affirmation distanciée, et en décalage avec l’expression créative brillante par ailleurs.

Ironie : en voulant se dégager d’une image presse people, Paris Match choisit des mots « très people » : …une histoire vraie, donc aussi …croustillante et cachée

Ce n’est pas parce que le monde change qu’il faut changer ses mythes fondateurs.

Life is a true story est l’adaptation anglaise de la nouvelle signature Paris Match. Ça ne vous rappelle rien ? Effectivement, il s’agit d’un retour aux sources, à Life magazine. A l’origine, Paris Match se voulait l’équivalent français de Life, le géant mondial du photoreportage. L’inconscient joue parfois des tours aux publicitaires.

  • Raconté par Roger Thérond lui-même in Stratégies n° 1114 du 17/09/1999
  • Christophe Lambert, agence FFL

ndlr : cette signature ne durera qu'un an. Depuis, rien ou ce triste « Premier magazine hebdomadaire d'actualités »

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